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Pourquoi pisse-t-on dans un violon ?

mais pourquoi pisser dans un violon ?

Pisser dans un violon !

Quelle horrible expression ! Cette exclamation m’a dérangée toute mon enfance. Et je n’ai pas trouvé grand-monde pour m’expliquer son origine. À l’époque Google et autres navigateurs n’existaient pas ! 

Enfin, l’explication est arrivée par un excellent article de Léopold Tobisch paru sur le site de Radiofrance.fr ce 19 janvier 2023 . Je le reproduis in extenso avec grand plaisir. Merci à lui.

Claudine

La langue française regorge d’expressions loufoques, qui n’ont parfois guère plus de sens que pisser dans un violon. Cela vous frustre ? Ne tirez sur le pianiste et découvrez plutôt leurs origines afin de devenir le ténor des expressions musicales sans pour autant faire donner les grandes orgues !

Au cours des conversations, il arrive de tomber sur des expressions idiomatiques étonnantes, parfois avec un sens musical. Mais d’où nous viennent ces expressions ? Que veulent-elles signifier ? Commençons par les plus évidentes : pour exprimer l’envie de se mettre d’accord, on doit « donner le la », « accorder ses violons » ou « se mettre au diapason », à l’instar des musiciens qui s’accordent. Lorsque l’on est initié à un nouveau sujet ou un nouveau métier, on doit évidemment passer par les rudiments, on doit « faire ses gammes », en référence aux gammes que pratiquent régulièrement les instrumentistes.

On « met un bémol » à une note de musique afin de baisser sa tonalité, et on fait pareil pour atténuer un propos ou modérer une affirmation. On peut également « mettre un point d’orgue » pour accentuer un moment dans un discours, de la même manière qu’un compositeur ajoute un point d’orgue à sa partition, signe de notation musicale qui sert à indiquer un moment de paroxysme dans une œuvre. Et lorsque l’on souhaite apporter une touche solennelle ou dramatique à notre propos, on « fait donner les grandes orgues ».

Mais il y a des expressions musicales dont le sens est moins évident au premier regard…

À cor et à cri

Lorsque l’on insiste sur un point avec force, on y va « à cor et à cri », à l’instar de la chasse et plus précisément de la vénerie, où il est coutume d’utiliser des cors, accompagnés des cris des chiens et des chasseurs en plein galop.

Sans tambour ni trompette

Au temps pour moi

À l’inverse de l’expression précédente, si l’on souhaite se retirer d’une situation de manière discrète, sans se faire remarquer, on le fait depuis le XVIIe siècle « sans tambour ni trompette », comme une armée en retrait après une défaite.

Autre expression d’origine militaire, l’injonction « au temps ! » fut prononcée lorsque le pas cadencé d’une troupe fut cassé par le mauvais pas d’un individu, avant de recommencer depuis le début. « Au temps pour moi » vient aujourd’hui annoncer une erreur admise par le locuteur.

C'est comme pisser dans un violon

Pour résumer l’inutilité d’une action, il n’y a pas mieux comme expression que « autant pisser dans un violon ». Si les premières traces de l’expression remontent aux années 1860, il existe également une autre variante avec plus de sens : « souffler / siffler dans un violon ». En effet, l’acte de souffler dans un instrument à cordes, dans l’espoir de provoquer le même son qu’un instrument à vent, ne sert strictement à rien. Le langage courant aurait transformé souffler en « pisser », dans une déformation comique et vulgaire.

Faire comme ça nous chante

L’idée d’agir uniquement « si ça me chante » existe depuis le XVIIIe siècle. On trouve notamment dans le livre XII des Confessions (1769-1770) de Jean-Jacques Rousseau la phrase suivante : « J’aime à m’occuper à faire des riens, à commencer cent choses, et n’en achever aucune, à aller et venir comme la tête me chante ».

Le « chant » viendrait alors d’une voix interne, de notre esprit en quelque sorte. Si l’on entend chanter dans notre tête, c’est qu’il y a une envie.

C’est du pipeau !

Les propos incohérents ou faux d’une personne sont souvent qualifiés de « pipeau ». L’expression remonte au XIIIe siècle, et se rapporte au fait d’attirer les oiseaux en imitant leur appel à l’aide de petites flûtes en bois ou de roseau nommées « pipeaux ».

Faire un bœuf

Le 10 janvier 1922, un cabaret est inauguré dans le VIIIe arrondissement de Paris. Le Bœuf sur le toit devient rapidement un lieu célèbre et hautement fréquenté par les plus grands artistes et mélomanes de la capitale, dont Jean Cocteau, Darius Milhaud, Georges Auric et Arthur Rubinstein.

C’est ici que l’on pouvait également croiser les nombreux musiciens de jazz de Paris, venus au Bœuf pour participer à des sessions d’improvisation musicale décontractées. Ainsi est née l’idée de « faire un bœuf » lorsqu’il s’agit d’une rencontre musicale à l’improviste.

Violon d’Ingres

Violoniste à ses heures perdues, le peintre Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867) fera de son passe-temps une véritable passion connue de tous. Il devient même le deuxième violon de l’orchestre du Capitole de Toulouse. Mais si l’expression sert aujourd’hui à décrire une passion, elle eut tout d’abord une connotation péjorative !

« Dans les dernières années de la vie du maître, la petite presse, celle qui aime à rire et à conter sur les hommes illustres des confidences de valet de chambre, s’est beaucoup amusée de son violon et de ses ardeurs de virtuose. Le violon d’Ingres était passé en proverbe, pour exprimer la manie qui pousse chaque homme à afficher surtout ses prétentions les moins en rapport avec ses aptitudes », écrit Victor Fournel dans Les artistes français contemporains : peintres, sculpteurs (1885).

Quant à l’origine de l’expression, c’est l’écrivain Émile Bergerat qui revendique sa paternité dans ses Souvenirs d’un enfant de Paris (1911). Il l’utilise alors au sujet de la passion de Théophile Gautier pour la peinture.

Être le ténor

Pourquoi dit-on d’un grand avocat que c’est un ténor du barreau ? 

Pourquoi pas la soprano, l’alto, ou la basse ? Il n’est pas question ici de dévaloriser les autres catégories de voix mais de faire plutôt référence aux origines du mot « ténor ».

Ce dernier vient du latin « tenere », signifiant « tenir ». Dans la musique polyphonique médiévale, c’était la voix qui « tenait » la ligne fondamentale du chant, le cantus firmus. Dès le XVIe siècle, on qualifie ainsi de « ténor » toute voix portant le cantus firmus. Le ténor du barreau est donc celui dont la voix porte le plus.

volute violon et un erose

Ne pas tirer sur le pianiste

Qu’est-ce que le pianiste aurait bien pu faire pour mériter qu’on lui tire dessus ? Rien, et c’est bien là le problème ! En 1896 sont publiées pour la première fois les Impressions d’Amérique d’Oscar Wilde. Lors de son passage à Leadville, dans l’Etat du Colorado, l’écrivain raconte sa visite d’un saloon, lieu d’embrouilles régulières entre clients irascibles : « Ils m’ont ensuite emmené dans un salon de danse où j’ai vu la seule méthode rationnelle de critique d’art que j’aie jamais rencontrée. Au-dessus du piano était imprimée une notice : ‘Veuillez ne pas tirer sur le pianiste. Il fait de son mieux.’ »

Si les règlements de compte étaient tolérés entre clients, il était prié de ne pas prendre pour cible le pauvre pianiste qui ne faisait que son travail. C’est ainsi que l’anecdote du pianiste est devenue l’expression courante pour ne pas s’en prendre à ceux qui n’ont rien à voir avec un argument, mais également ne pas critiquer ceux qui font de leur mieux.

Finir, conduire, mettre au violon

Les origines du « violon » pour signifier l’incarcération d’une personne sont aussi multiples qu’incertaines. La première – et la plus simple – serait la ressemblance entre les cordes de l’instrument et les barreaux d’une cellule. À cela s’ajoute une expression courante parmi les prisonniers et les geôliers, « jouer du violon », référence à l’acte de scier ses fers par le même geste qu’un violoniste sur son archet.

Le violon a également une autre connotation carcérale. Dans le musée de la cité fortifiée de Riquewihr en Alsace, il existe un instrument de torture surnommé le « violon ». Un carcan en bois ou en métal en forme de violon, avec des trous pour le cou et les poignets.

Le journaliste et philologue François Génin propose une autre origine dans le premier volume de ses Récréations philologiques (1858). Il s’inspire notamment d’une expression plus ancienne, « mettre au psalterion ».  « Psalterion, salterion, sauterion, n’est autre chose que le mot latin psalterium, accommodé à la française. […] mettre au psalterion, c’était donc mettre aux sept psaumes ; mettre en pénitence. » Alors que le psaltérion se démode, l’expression est alors mise à jour avec le nom de l’instrument qui remplace le psaltérion dans la faveur publique : le violon.

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